Blog de Rawa-Marie Pichetto
Écriture spontanée, sans fioritures...

Ce blog est un récit.
Le récit de "personnages en quête d'auteur", comme dirait Pirandello...
Il s'agit de passer l'énergie sous forme de mots et d'images avec toute la difficile alchimie du Verbe et de ses diverses articulations.
Alchimie que l'on trouve au théâtre.
Les planches m'ont appris ce mystère incroyable que l'on trouve dans les mots. Ces mots qui nous touchent, nous caressent, nous procurent du plaisir. Les mots qui parviennent à notre peau, sensuellement parfois. Et nous n'en sortons pas indemnes.
J'emprunte à tout ce monde de la scène - théâtre, cirque, danse, théâtre dansé, ... - sa magie, afin qu'il en tombe par-ci et par-là...


En contrepartie du "chapeau" de ce blog (la citation de Paul Valéry), je pense à ce poème de Charles Baudelaire dans les Fleurs du Mal :

'Correspondances'
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

vendredi 31 mars 2017

O Let me weep...

Cette musique que j'ai découverte l'année dernière, m'a marquée. J'ai appris mes premiers pas de danse timide, avec ces sons et voix de "The Fairy Queen" de Purcel. Que tu connaissais.
Cette année, j'ai plongé dans le monde de Pina Bausch, et dans Café Müller où elle danse sur cette musique... J'ai réécouté ce morceau avec les mouvements de Pina, ses bras qui s'envolent dans l'espace pour retomber sur son corps, dans des mouvements fins et gracieux, comportant toute la tristesse de la complainte... de la perte.
J'ai réécouté The Fairy Queen et cette fois-ci j'ai lu les mots!

O let me weep, for ever weep! 
My eyes no more shall welcome sleep. 
I'll hide me from the sight of day, and sigh, and sigh my soul away. 
He's gone, he's gone, his loss deplore; 
and I shall never see him more.

Il y a des choses qu'on ne peut plus dire avec des mots simples. On peut les chanter, les danser, les pleurer sans pleurer... Mais on ne peut plus les dire avec des mots simples.

Je viens de découvrir que Jaroussky a interprété ce morceau.
Je ne fais pas beaucoup de commentaire sur le lien entre toi et ce morceau mais juste ça : "He's gone, he's gone, his loss deplore, and i shall never see him more".

Je n'ose même pas plonger totalement dans le monde de Café Müller car je partirais profondément loin sans doute. Dans une complainte sans cesse.
Qui me porterait dans ma chute ?

Je te mets le lien vers l'interprétation de Jaroussky ci-dessous. Si ton esprit est encore vivant (et là je t'entends te moquer de moi et me ressortir tes tirades sur le vide et la physique quantique et l'absence de vie après la mort... et le fait que l'Homme n'arrive pas à accepter sa mortalité, etc. Je dis tout cela avec mes mots, incapable de formuler les idées avec ta capacité de synthétiser et condenser en quelques phrases des sens en couches superposées, très profonds...), donc si ton esprit est là, tu écouteras l'extrait que je te mets... :))

Tu as écrit un jour ceci à propos de quelqu'un :
" Il me semble, à chaque fois que tu écris, que j'ai à retrouver et reprendre un livre couvert d'une poussière triste et poisseuse, dans une obscure bibliothèque dont j'ai perdu le nom...
Et le désespoir n'a pas de nom." 

Je ressens la même chose. Cette obscure bibliothèque existe bel et bien. La poussière y est triste, sans être poisseuse. Je n'ai pas de désespoir. Mais une profonde amertume... Car je suis devenue sans doute le lieu où est déposé une partie de ta mémoire mais comme on m'a symboliquement "tuée" avant et après ta mort, je ressens l'odeur de la poisse sur moi. Je ne peux ni vraiment ouvrir les infinies portes vers ces lieux de mémoire, ni ouvrir les volets pour que la lumière rentre,  et je ne peux exister au jour. Je suis contrainte à l'enfermement, celui de ma mémoire et de mon histoire avec toi.

Il est 10h d'un jour toulousain de printemps où il ne fait pas froid, mais ciel gris un peu... Un calme m'entoure et j'écoute, via mes petits écouteurs : The Fairy Queen, la version ancienne par une voix de femme. C'est la première fois que je t'écris le matin, dans ce calme de cet appartement où je suis depuis un moment.

J'ai envie de te dire : repose-toi en paix. J'essaye de faire vivre ta mémoire malgré tout et à ma façon, dans la tristesse et l'espoir. Celui de te retrouver via l'esprit, celui qui nous a tant liés, et qu'un jour nous appelâmes : l'Esprit libre! Te souvient-il ? :)
(Cette phrase "Te souvient-il" me fait penser au poème de Verlaine : Ame te souvient-il ? Je ne peux pas résister à l'envie de le mettre là ... et de penser à la voix de Léo Ferré qui l'a si joliment interprété....

Âme, te souvient-il, au fond du paradis,
De la gare d’Auteuil et des trains de jadis 
T’amenant chaque jour, venus de La Chapelle ?
Jadis déjà 
Combien pourtant je me rappelle (...)
Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil
Et, sous les arbres pleins d’une gente musique,
Notre entretien était souvent métaphysique.
Ô tes forts arguments, ta foi du charbonnier !
Non sans quelque tendance, ô si franche ! à nier,
Mais si vite quittée au premier pas du doute ! 
Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route 
Un peu des écoliers, chez moi, chez nous plutôt,
Y déjeuner de rien, fumailler vite et tôt,
Et dépêcher longtemps une vague besogne.
Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne ! )


Voici Jaroussky : 

  




jeudi 30 mars 2017

J'ai envie de te dédier ce poème ce soir, du poète colombien Alvaro Mutis et notamment quelques vers vers la fin...

Sonate


Pour les arbres brûlés après la tourmente.
Pour les eaux boueuses du delta.
Pour ce qui demeure de chaque jour.
Pour le petit matin des prières.
Pour ce que recèlent certaines feuilles
dans leurs veines couleur d'eau
profonde et sombre.
Pour le souvenir de ce bonheur bref
et déjà oublié
qui fut mon aliment de tant d'années sans nom.
Pour ta voix de nacre rauque.
Pour tes nuits où transite la vie
en un galop de sang et de rêve.
Pour ce que tu es aujourd'hui pour moi.
Pour ce que tu seras dans le tumulte de la mort.
Pour cela je te garde à mon côté
comme l'ombre d'un illusoire espoir. 

Je m'étais beaucoup arrêtée sur " Pour ce que tu seras dans le tumulte de la mort" et " Pour cela je te garde à mon côté comme l'ombre d'un illusoire espoir.". 
Ces mots me parlent profondément... Le " tumulte de la mort " est ce fracas terrible que tu as laissé derrière toi. Ce silence assourdissant. 

Et cette "ombre d'un illusoire espoir". Oui, parce que tu es toujours un espoir pour moi... L'espoir de ton ombre, ton esprit qui flotte dans ma tête. Les mots que tu m'as laissés, ta voix, ... 
Mais ma mémoire est fatiguée, très fatiguée. Je n'arrive plus à vivre. Je n'arrive plus à aimer, car j'ai peur. J'ai peur de ces distances, de cette impossibilité d'aimer, puisque ceux que j'aime sont loin. 

J'écris ici, car je ne peux plus dire cela à personne. Car cela ne peut plus se dire. Cela devient et doit devenir fiction, imaginaire, pour être partagé. 
C'est dur et lourd. Il faut que cela devienne une histoire... Dans l'histoire, on existe sans exister. On existe sans peser. Il y a la protection par la distance. Par la virtualité, par l'imaginaire. Il n'y a ni chair ni os. Il y a soit un papier dans un livre qu'on ferme lorsqu'on l'a terminé. Soit un bouton où on clique sur "fermer". Et on revient à notre quotidien. Comme moi lorsque je ferme cette page, et je reviens à ma "vie". 
Laquelle des deux est la plus réelle...?! C'est cette hésitation entre les deux qui me transforme en un être qui choisit le silence pour parler : celui de l'écriture. 

Tu m'envoyais souvent cette photo lorsqu'on se disait parfois "bonne nuit" par mail :)
Bonne nuit !







mardi 21 mars 2017

Se souvenir !

Je lis sur les "murs" de certains contacts sur Facebook, d'origine syrienne, des phrases et des textes courts ou longs, sur la Syrie. Tous expatriés depuis la guerre... et devenus réfugiés. Ils évoquent leur nostalgie, leurs vies dans leurs villes d'origine en Syrie...

Je lis les mots "exil", et un florilège de souvenirs où ils se rappellent les quartiers, les lieux quittés, sans choix, contraints et forcés.
Plus je lis ce genre de choses, plus je ressens mon propre "exil" au sein de cette identité que je n'ai pas choisie et qui me lie à eux par les faits et l'histoire.

Mon exil à moi est insolite, il est étrange. Mes racines affectives restent dans la ville où je suis née. Mais toutes les branches de ma vie (si je puis ainsi parler pour continuer la métaphore de l'arbre), ont poussé ailleurs! Plus je grandis, et vieillis, plus ce  fil qui reste encore attaché entre les racines affectives et mon tronc qui pousse ailleurs, devient fin, proche de la rupture.

Ma mémoire à moi ne veut se souvenir de rien. Elle est épuisée. Elle veut "oublier". Elle veut laver, frotter au savon, les taches de cette histoire traumatisante qui est la Syrie. De ce pays, je n'arrive à garder que la peur, le dégoût et l'évitement.
Sensations propres aux traumatismes...

Oui, j'aime la mer Méditerranée, j'aime les visages de mes parents, le sourire de mon père, et les souvenirs de mon enfance. J'aime le jasmin dont l'odeur parfumait une partie de mon enfance, et adoucissait ma vie et la vie des gens là-bas...
Plein d'autres choses que j'aime de ces lieux. Mais tout cela me semble enfermé dans un bocal fermé et inaccessible. Comme si rien n'était vrai, mais dans un état d'attente... Attente de liberté, de vérité. Jamais parvenues.

Je n'ai donc envie de me souvenir de rien du tout. J'ai envie d'oublier, pour vivre.

Je lis dans le livre de Nathalie Bontemps, Gens de Damas, un passage qui m'a particulièrement touchée et où elle parle des Palestiniens réfugiés en Syrie, vivant au Camp Yarmouk à Damas... :

"Un jour, dans une des grandes salles de réception du camp utilisées pour les noces, s'avançait une très vieille dame. Elle venait au mariage de ses petites filles. Sur son passage elle entendit une voix qui disait assez haut (peut-être la croyait-on sourde) : « Qu'est-ce qu'elle est vieille ! Il y a vingt ans, elle était déjà vieille ! ». Elle avait parfaitement identifié la chipie qui avait parlé. Elle se retourna et rétorqua sèchement : « Mais appelle donc Azraël, qu'il vienne me chercher, il a dû m'oublier ! »

Le comédien raconte l'histoire de son arrière-grand-mère, qui a vécu cent seize ans.

Lui, il a dans les vingt-cinq ans, une petite barbe et des yeux perçants. De Safad il a gardé cette scénette dans sa mémoire, mais sa patrie à lui, c'est le triangle délimité par la rue Yarmouk et la rue Palestine, c'est le camp. Ce n'est pas tellement la Syrie, ni la vraie Palestine restée derrière le Golan. Sa patrie c'est un quartier. C'est dans ces rues que sont déposées, un peu partout, les sensations qui l'ont construit. Elles habitent les murs, les angles, et parfois s'éveillent sans crier gare. L'autre matin, il s'est levé tôt. Il y avait bien longtemps que cela ne lui était pas arrivé. Il s'est trouvé à huit heures dans la rue de l'école, comme lorsqu'il était enfant. Toutes les sensations de cette époque lui sont revenues en même temps. L'odeur du gel qu'il mettait sur ses cheveux, sa peau un peu humide parce qu'il venait de se débarbouiller, les bus de ramassage scolaire qui affluaient un peu partout. Comme les empreintes digitales qui n'apparaissent qu'à la lumière, tout cela était déposé sur les trottoirs, sur les étalages des commerçants, les murs des écoles, et s'était soudain révélé.

Sa patrie c'est son quartier. Cela semble bizarre." (Safad, Gens de Damas, page 48, éditions Al-Manar, 2016). 

Ma "patrie" à moi est vraiment les rues de Toulouse, et de la campagne que je fréquente depuis 8 ans... Ma patrie à moi c'est le lien que j'ai créé lorsque j'ai décidé de faire un enfant... Ma patrie à moi c'est la langue française que j'ai aimée tant lorsque j'étais petite grâce à une relation affectueuse que me donnait l'une de mes tantes, parisienne, et grâce aux rêves d'enfant que j'avais, et qui étaient nourris par mes voyages, très jeune, à Paris : j'avais 5 ans la première fois où je suis venue en France... et j'ai été très touchée par une envie d'y revenir.
Ma "patrie" à moi ce sont tous les choix que j'ai faits depuis 24 ans... et qui, pour la plupart, se sont faits hors pays de naissance.
Je pourrais écrire des lignes et des lignes sur "ma patrie" à moi... C'est difficile d'être car les mots aspirent le fond de nous-mêmes, celui que nous ne pouvons définir en une seule étiquette. Mais le monde fonctionne par raccourcis!

Je fuis les arrêts fugitifs sur les réalités et les vérités complexes.
Tout cela me pousse au silence oral, et sans doute à l'écriture... versée sans éclat dans l'espace de l'Internet...

Les gens ne comprennent pas et généralisent. Cela me fatigue, m'épuise... moi qui suis à la recherche de la "perle rare", des nuances, de toutes ces petites choses qui font sens...

A suivre!

dimanche 12 mars 2017

A Bernard,
le compagnon passant, une fraternité sans fin 

Oui ! ça fait un bail que je ne t'ai pas écrit ni pensé à toi dans le même esprit avec lequel je pensais à toi juste après ta mort. Je ne pouvais plus.
Le hasard des choses a fait qu'aujourd'hui j'ai relu 3 ou 4 échanges de courriels de l'année dernière, quelques mois avant ta maladie.
J'ai retrouvé ton esprit immédiatement. C'est très fort cette magie.
J'ai retrouvé tes moqueries gentilles lorsque je te demandais éternellement des conseils, et te confiais mes problèmes. Tu me disais intelligemment beaucoup de choses. Avec cet esprit vif et percutant que tu avais.

Je ne pouvais plus penser à toi comme ça car ça me faisait mal. Ton absence a pris le dessus sur tout. J'ai plongé profondément dans le choc de ta mort, un choc qui est survenu bien après. J'ai réalisé à quel point tu n'étais plus là...
Je me suis anesthésiée physiquement et psychologiquement durant ces derniers mois pour tenir le coup, pour pouvoir dormir. Car j'avais perdu le sommeil après ta mort. J'avais peur de tout, souffrant également de phénomènes physiques douloureux qui se sont focalisés sur mon cœur. Mon cœur ne battait plus comme avant. Et c'est pas au sens figuré, mais réel.
Mon cœur me disait qu'il n'en pouvait plus ; il est devenu anarchique.

J'ai souvent pensé à toi et à ton cœur qui s'est arrêté. Souvent pensé à cet instant que tu as vécu. C'est la première fois que je réalise ce que c'est un cœur... J'ai beaucoup pensé à toi.

Lorsque je lis tes mots, cela me donne de l'oxygène. Oxygène qui me manque. L'oxygène de la pensée, de la parole intelligente ; l'oxygène de la voix, de la communication.

Je ne peux pas parler de toi autour de moi. Personne de ceux qui t'ont aimé et bien connu n'est à mes côtés pour partager une parole bienveillante à ton égard.

Je suis obligée de garder tout pour moi ; te parler "en secret" sur un blog public... Je suis consciente de cet acte de parole ouverte et un peu dérobée.
Mais depuis ta mort, je n'ai pu faire de deuil. Même ta mort m'a été interdite.

Je fais semblant depuis. Je fais semblant dans ma vie privée et sociale. Une mort est passée par là, mais touuuut vaaa bien ! Je souris, je ris, je suis active, etc.
Les gens me font comprendre indirectement qu'il ne faut surtout pas parler de choses qui fâchent. Il faut, soit aller voir un psy et prendre des cachets pour "être bien", soit rester dans son coin. Mais surtout pas montrer que nous vivons un deuil ! Oh là là ! Tu comprends, le culte du bonheur !

Sauf qu'un deuil c'est une confrontation directe avec la mort. Cette absence éternelle, ce silence assourdissant. Le vide.

Je ne peux pas facilement parler de toi non plus, car plus aucune légitimité réelle n'était restée entre nous. Puisque la période avant ton décès a été entourée d'une folie relationnelle dont j'ai payé les frais les plus chers.
Pour la première fois de toute ma vie j'ai été insultée publiquement (pour l'instant je ne te dis pas où...).
Etc. etc. Que dis-je ? Je n'ai la preuve de rien, à part être témoin d'une courbe affective complètement irrationnelle !
Les mots nous tuent comme ils peuvent nous sauver. Sur ce coup-ci, ils étaient mal utilisés et mal interprétés. J'ai tenté le recours à la raison, c'était trop tard.

Je te laisse un peu maintenant. Je reviendrais peut-être te parler de la France et la période des élections présidentielles, mais il faut que j'arrête d'abord d'en "vomir" pour pouvoir en parler.
Tu es mieux là où tu es sans doute! Nous sommes dans la merde.

-- Oh tiens, avant de quitter :  j'ai pensé à toi en écoutant ce morceau de Dave Brubeck : Take Five :)



A ciao et fraternité :)