Je lis sur les "murs" de certains contacts sur Facebook, d'origine syrienne, des phrases et des textes courts ou longs, sur la Syrie. Tous expatriés depuis la guerre... et devenus réfugiés. Ils évoquent leur nostalgie, leurs vies dans leurs villes d'origine en Syrie...
Je lis les mots "exil", et un florilège de souvenirs où ils se rappellent les quartiers, les lieux quittés, sans choix, contraints et forcés.
Plus je lis ce genre de choses, plus je ressens mon propre "exil" au sein de cette identité que je n'ai pas choisie et qui me lie à eux par les faits et l'histoire.
Mon exil à moi est insolite, il est étrange. Mes racines affectives restent dans la ville où je suis née. Mais toutes les branches de ma vie (si je puis ainsi parler pour continuer la métaphore de l'arbre), ont poussé ailleurs! Plus je grandis, et vieillis, plus ce fil qui reste encore attaché entre les racines affectives et mon tronc qui pousse ailleurs, devient fin, proche de la rupture.
Ma mémoire à moi ne veut se souvenir de rien. Elle est épuisée. Elle veut "oublier". Elle veut laver, frotter au savon, les taches de cette histoire traumatisante qui est la Syrie. De ce pays, je n'arrive à garder que la peur, le dégoût et l'évitement.
Sensations propres aux traumatismes...
Oui, j'aime la mer Méditerranée, j'aime les visages de mes parents, le sourire de mon père, et les souvenirs de mon enfance. J'aime le jasmin dont l'odeur parfumait une partie de mon enfance, et adoucissait ma vie et la vie des gens là-bas...
Plein d'autres choses que j'aime de ces lieux. Mais tout cela me semble enfermé dans un bocal fermé et inaccessible. Comme si rien n'était vrai, mais dans un état d'attente... Attente de liberté, de vérité. Jamais parvenues.
Je n'ai donc envie de me souvenir de rien du tout. J'ai envie d'oublier, pour vivre.
Je lis dans le livre de Nathalie Bontemps, Gens de Damas, un passage qui m'a particulièrement touchée et où elle parle des Palestiniens réfugiés en Syrie, vivant au Camp Yarmouk à Damas... :
"Un jour,
dans une des grandes salles de réception du camp utilisées pour les
noces, s'avançait une très vieille dame. Elle venait au mariage de
ses petites filles. Sur son passage elle entendit une voix qui disait
assez haut (peut-être la croyait-on sourde) : « Qu'est-ce
qu'elle est vieille ! Il y a vingt ans, elle était déjà
vieille ! ». Elle avait parfaitement identifié la chipie
qui avait parlé. Elle se retourna et rétorqua sèchement :
« Mais appelle donc Azraël, qu'il vienne me chercher, il a dû
m'oublier ! »
Le
comédien raconte l'histoire de son arrière-grand-mère, qui a vécu
cent seize ans.
Lui, il a
dans les vingt-cinq ans, une petite barbe et des yeux perçants. De
Safad il a gardé cette scénette dans sa mémoire, mais sa patrie à
lui, c'est le triangle délimité par la rue Yarmouk et la rue
Palestine, c'est le camp. Ce n'est pas tellement la Syrie, ni la
vraie Palestine restée derrière le Golan. Sa patrie c'est un
quartier. C'est dans ces rues que sont déposées, un peu partout,
les sensations qui l'ont construit. Elles habitent les murs, les
angles, et parfois s'éveillent sans crier gare. L'autre matin, il
s'est levé tôt. Il y avait bien longtemps que cela ne lui était
pas arrivé. Il s'est trouvé à huit heures dans la rue de l'école,
comme lorsqu'il était enfant. Toutes les sensations de cette époque
lui sont revenues en même temps. L'odeur du gel qu'il mettait sur
ses cheveux, sa peau un peu humide parce qu'il venait de se
débarbouiller, les bus de ramassage scolaire qui affluaient un peu
partout. Comme les empreintes digitales qui n'apparaissent qu'à la
lumière, tout cela était déposé sur les trottoirs, sur les
étalages des commerçants, les murs des écoles, et s'était soudain
révélé.
Sa patrie
c'est son quartier. Cela semble bizarre." (Safad, Gens de Damas, page 48, éditions Al-Manar, 2016).
Ma "patrie" à moi est vraiment les rues de Toulouse, et de la campagne que je fréquente depuis 8 ans... Ma patrie à moi c'est le lien que j'ai créé lorsque j'ai décidé de faire un enfant... Ma patrie à moi c'est la langue française que j'ai aimée tant lorsque j'étais petite grâce à une relation affectueuse que me donnait l'une de mes tantes, parisienne, et grâce aux rêves d'enfant que j'avais, et qui étaient nourris par mes voyages, très jeune, à Paris : j'avais 5 ans la première fois où je suis venue en France... et j'ai été très touchée par une envie d'y revenir.
Ma "patrie" à moi ce sont tous les choix que j'ai faits depuis 24 ans... et qui, pour la plupart, se sont faits hors pays de naissance.
Je pourrais écrire des lignes et des lignes sur "ma patrie" à moi... C'est difficile d'être car les mots aspirent le fond de nous-mêmes, celui que nous ne pouvons définir en une seule étiquette. Mais le monde fonctionne par raccourcis!
Je fuis les arrêts fugitifs sur les réalités et les vérités complexes.
Tout cela me pousse au silence oral, et sans doute à l'écriture... versée sans éclat dans l'espace de l'Internet...
Les gens ne comprennent pas et généralisent. Cela me fatigue, m'épuise... moi qui suis à la recherche de la "perle rare", des nuances, de toutes ces petites choses qui font sens...
A suivre!
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